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Marine Feuerstein
11 septembre 2007

Les Trois Continents : Un filet dans la nuit

Mercredi 4 Juillet. Vacation radio de 17 heures.

            Recroquevillée dans le bateau, la VHF à la main et le journal de bord sur les genoux, je m’apprête à communiquer notre position à l’organisation.

A 16 h 58, on entend encore des grésillements sur les ondes, reflets de communications entre des pêcheurs tunisiens, des cargos italiens, des plaisanciers français. A 17 h 00 pétantes, la voix de Gilbert s’installe et nous interpelle.

La vacation débute par quelques échanges anodins entre les bateaux accompagnateurs. Hinano explique qu’il a affalé son spi car le vent monte et qu’il ne peut plus tenir cette voile sans abattre vers la Tunisie. Cirrus regrette de ne pas avoir de spi lourd et décide d’accélérer car « avec ce vent, les Minis vont débouler sous spi ». Ce vent ? Mais quel vent ?

           Tandis que nous continuons notre ballade sous grand spi, il semblerait qu’un nouveau vent vienne étriller la queue du peloton. C’est très inquiétant car nous savons Zygomar dans notre Nord-Est et nous craignons qu’il ne touche ce vent avant nous. Thomas et moi sommes perplexes… Faut-il empanner et se recaler sur la route de Zygomar ? Faut-il continuer sur la route directe ? Après un déballage de cartes et de prévisions météos, nous décidons d’empanner et de lâcher la route directe pour nous rapprocher de ce nouveau vent. On en sent déjà les prémices dans le grand spi.

          

                 La nuit tombe et le vent monte. La mer commence à se former. Je barre sous grand spi tandis que nous nous rapprochons du banc des Eskersis, rochers affleurants situés sur la route directe entre Carlo Forte et Malte. Je suis bien décidée à garder le grand spi car nous devons attaquer si nous voulons creuser l’écart avec Zygomar. Tant que nous le pouvons, il faut aussi réduire l’écart avec Metalco. Enfin, les jours passés ont été si doux que j’ai maintenant faim d’action, de gerbes d’écume et d’écoutes qui claquent.

Les vagues sont désordonnées et j’ai du mal à tenir le grand spi. Le bateau file à 12 nœuds dans la nuit et, le ventre serré, je ne cesse de penser aux conséquences d’un choc avec un objet flottant, avec un filet de pêche…

Adventure_bank

Il y a beaucoup de petites lumières dans le canal de Sicile. Qu’est ce que c’est ?

Les cartes ne mentionnent aucune marque. Sommes-nous à proximité de l’île de Pantelleria ?

Il y a des lumières rouges, vertes, blanches et certaines clignotent. Je suis concentrée à la barre et je ne peux pas quitter le spi des yeux. La situation est pénible. Il ne devrait pas y avoir de lumières ici ! Est-ce que ce sont des cargos ? des pêcheurs ? Dans quel sens se dirigent-ils ? De quel côté faut-il passer de la lumière rouge qui clignote ? Normalement, les lumières des bateaux ne clignotent pas ! Et pourtant ce n’est pas une marque car il n’y a rien sur la carte ! Et pourquoi n’y a t’il pas de lumière verte ? Est ce que ce sont déjà les pipe-lines ?

Tandis que Thomas essaie d’analyser la situation, j’ai de plus en plus de mal à tenir le grand spi.

Je n’y crois pas à cette histoire de pipe-lines !

            Je ne suis donc pas surprise lorsque le bateau s’arrête brutalement et part au lof. Ça y est ! Nous venons de cocher une croix supplémentaire dans la liste de nos expériences en Mini et nous sommes empêtrés dans un filet de pêche!

Souvent la crainte du danger est plus pénible à supporter que le danger lui-même et pour cela j’ai toujours une certaine attirance pour ces situations difficiles. Il n’y a qu’au pied du mur que l’on peut véritablement estimer le danger et la difficulté. Et c’est aussi lorsque l’on est au pied du mur que l’on voit les prises qui permettent de l’escalader. Il ne faut pas oublier que l’on sort toujours plus fort de ces expériences difficiles. Au fond de moi, j’éprouve un certain contentement même si je ne sais pas comment nous allons nous en sortir.

          Nous essayons de faire marche arrière, mais il est impossible de maintenir la grand voile à contre. Nous prenons la décision d’affaler les voiles et de couper le filet. C’est assez facile car celui-ci est maintenu à la surface par des flotteurs en liège. Nous ne sommes pas encore trop inquiets. Nous lâchons le filet sans avoir fini de le couper. Il coule. Je commence à avoir chaud… Comment allons nous faire pour le récupérer ? Il est extrêmement tendu. Thomas et moi sommes penchés sur les filières et nous essayons de tenir le filet avec la gaffe. Nos mains glissent sur le manche en plastique et nous sommes secoués par les vagues de sorte que la gaffe nous échappe plusieurs fois. Je décide de ranger la gaffe mais celle-ci est prise dans le filet. Impossible de la dégager malgré plusieurs tentatives.  Je dois l’abandonner. Nous avons de plus en plus chaud.

Il y a encore beaucoup de petites lumières autour de nous et je craints  la confrontation avec un pêcheur. J’aurais eu du mal à justifier le fait que nous ayons tailladé son filet à coups de couteau de plongée .

La situation est critique et nous n’avons plus d’autre solution que de plonger.  C’est aussi angoissant pour celui qui plonge que pour celui qui reste à bord. La mer est agitée et le plongeur peut être assommé par le bateau ou  rester accroché au filet. 

Je décide de plonger.

J’irai passer un bout dans une des mailles du filet de sorte que nous puissions le ramener à bord pour le couper. J’enjambe la filière. Il ne me reste plus qu’à sauter. « Tu m’éclaires, Thomas, hein ! Tu m’éclaires ! » . Thomas me rassure. Je suis accroupie sur le bord du bateau et je me demande moi-même si je vais avoir le courage de sauter.

« J’y vais ! »

            « Non! Je n’y vais pas ! » Une vague vient en effet de percuter le bateau et d’anéantir mon courage. Aller ! On y retourne ! Il suffit de bien choisir sa vague ! Où est le filet ? Où est le filet ? Nous ne voyons plus le filet. Thomas s’assoit  à la barre.

Il y a un sillage derrière les safrans ! Le bateau avance ! Nous sommes défaits de l’emprise du filet !!! Il n’y a plus besoin de plonger !

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Commentaires
H
Finalement, peut-être que le courage c'était d'attendre la bonne vague ...
Marine Feuerstein
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